C’est l’histoire d’une disparition…
Dans quel monde vivrions-nous si les Beatles n’avaient jamais existé, et si leurs musiques ne peuplaient pas, un peu, beaucoup, nos cerveaux ?
Vous l’avez sans doute reconnu, c’est exactement le pitch du dernier film de Danny Boyle, Yesterday, qui, sous un ton de comédie tendre que les anglais maîtrisent si bien, pose plein de questions sur les références culturelles communes, la disparition et un peu sur l’imposture aussi.
C’est l’histoire d’une autre disparition.
Microsoft l’avait annoncé il y a quelques semaines : sa librairie en ligne a cessé son activité et en conséquence, les livres achetés « cessent eux-aussi de fonctionner », faute de DRM valides. Des milliers de lecteurs qui s’étaient constitués une bibliothèque chez Microsoft ne possèdent désormais plus rien si ce n’est un remboursement de $25. Fini les relectures et les annotations.
Ces derniers temps, on parle énormément de disparition.
Au printemps dernier, MySpace a perdu près de 12 ans d’enregistrements musicaux hébergés sur ses serveurs. Pour la plupart, des morceaux amateurs ou produits par des groupes émergents et dont les copies ont sans doute disparu des disques durs de leurs auteurs.
Universal Music a avoué, à la suite d’une enquête du New York Times, avoir perdu de nombreux masters historiques, du Billie Holiday, du Elton John… dans un gigantesque incendie en juin 2008. Ces musiques, elles, on a la certitude de ne jamais plus les entendre…
Tout ça, ça commence à faire beaucoup de disparitions.
Et aussi beaucoup d’actualités qui entrent en résonance les unes avec les autres… pour dessiner un drame très moderne.
Notre société a bâti, depuis 100 ans, une grande partie de son identité sur sa capacité à dupliquer, diffuser et conserver sa culture. L’imprimerie est à la base de cette identité. Mais les technologies d’enregistrement du son, de photographie, de cinéma ont amplifié le phénomène : elles sont à l’origine d’une très large partie de la culture du XXe siècle. La base de la Pop Culture, c’est ça. Si Spielberg, et Danny Boyle pour reparler de lui, réussissent aussi bien à nous émouvoir, c’est qu’ils se reposent énormément sur notre mémoire physique. Sur ces films, ces images et ces musiques qu’on peut revoir à l’infini.
L’industrie du divertissement capitalise énormément également sur cette mémoire enregistrée. L’art était déjà devenu « industriel » avec Andy Wharol et la reprographie… A l’aube du XXIe siècle, la culture est devenue un copycat géant : sampling, remake… Notre culture s’inspire en boucle de la matière qu’elle a déjà produite. Parfois avec joie, et parfois de manière un peu moins heureuse.
Le Web s’est bâti également sur cette culture du support. La grande idéologie des bâtisseurs du réseau, c’est une nouvelle Encyclopédie moderne, accessible à tous. La possibilité à lier entre eux tous les supports de culture et de connaissance possible.
Tout sauver
Pour le XXe siècle, il fallait garder une trace. Sauver le patrimoine et, pourquoi pas sillonner l’Amérique pour en capter les traditions musicales ancestrales. Enregistrer pour ne pas perdre la mémoire.
La technologie aidant, le geste s’est dupliqué à chacun des individus : photographier, enregistrer pour ne pas laisser disparaître un souvenir ou une trace. Et aussi pour s’exposer, avouons-le. Parfois au détriment de l’instant et du vécu.
Notre société a gagné l’obsession du support et de la trace laissée.
C’est l’histoire d’une disparition.
Mais voilà, les bibliothèques et les musées brûlent. Et que les disques durs s’effacent. Et même à notre échelle, écrits, photos et vidéos personnelles disparaissent au fur et à mesure que les services Web vieillissent et eux aussi disparaissent.
La fragilité de la mémoire, et surtout la vitesse à laquelle nous nous sommes adaptés aux supports, posent de sacrées questions : Si demain, les services numériques disparaissaient, ou simplement privatisaient l’accès à certaines données, comment continuerions-nous à faire vivre une aussi vaste culture commune ? Comment pourrions-nous nous adapter à une société de l’éphémère ?
Et si nous devenions la première génération à devoir vivre dans une société sans mémoire ?